Poésie-théâtre
ou poésie
en théâtre ? Pas de théâtre épique
ni de poésie à la grecque, non, une musique certes
de « loup
solitaire » mais qui sait sans doute que la meute se rapproche
inexorablement ! Dans le théâtre les restes de décors
stockés dans les coulisses peuvent être les arrières
mondes du monde ! L’arrière scène, l’obscène
dans le fond du théâtre : le lointain se dérobe
devant des salles que l’on craindrait toujours d’être
vides ! Où commence l’individu et où finit
le personnage ? Question de théâtre, de scène,
de formation d’acteur ? Bof ! Question de hasards et d’opportunités.
Le reste est en plus !
Quels restes ? Le « no man’s land » différent
de la terre sans humanité, oui, la solitude en humanité sans
doute la plus impossible à vivre ! Sans doute là où la
méta- morphose se transforme en ana- morphose ! Ce truc
bizarre qui sur un « pas de porte » met la vie du spectacle à la
Porte du destin, spectateur comme l’arroseur arrosé ! « Mes
mots / sont toujours là / à t’attendre / dans
le noir / de cette vie » (la Porte du des / tin), « Ce
CRI / du couloir / de ta vie / isoloir / s’est enfui»,
ces mots qui attendent sont-ils de ce silence si particulier des
scènes désormais sans théâtre ?
Où donc
est le cri ? « Un CRI / dans le noir / est parti / C’est
le soir / évanoui » ! Les vers se lisent ainsi, ni à l’envers
ni à l’endroit. Je dirais, simplement. Et pourtant, « Toute
ma vie / j’avancerai / vers l’intouchable » !
L’intouchable
ici me renvoie à celui de l’infortune de naissance
qui ne permet aucun contact autre que ceux de sa caste. Ce monde
qu’il
ne pourra jamais faire sien. Justement. « Par la porte /
entrebâillée
/ s’envole les rêves / d’un enfant / qui regarde
/ sans rien dire / LE MONDE / DES ADULTES » ! Cet autre monde
ou plutôt cette autre scène du monde ! Ce monde des
adultes. « J’avais si peur de ce moment là que
je n’avais pas les mots que tu aurais pu entendre » !
Et voici que se déploie cette forme de complainte qui passe
de fait dans le poème : « Longtemps longtemps
/ la vue de ces volets / FERMÉS ». Longtemps… « Je
veux que ma vie / soit un CRI / pour que tu / EXISTES (1) ». « MAINTENANT
/ que je ne suis plus l’ENFANT / que tu voulais garder / contre
ton cœur / je peux te dire // AU REVOIR / Soit Heureuse… » Jusqu’à cette
source idyllique où « les larmes ne coulent plus / Là /
je n’ai peur de rien ! » Avoir peur de rien, autant dire être
dans l’effroi de tous ? Ce n’est sans doute pas si simple
: il y a quelque chose ici qui me murmure Hölderlin. « Ne
plus pouvoir toucher / Ne plus pouvoir parler / Ne plus pouvoir regarder
/ Ne plus pouvoir entendre / Ne plus pouvoir… / sourire / à l’être
Aimé / que RIEN ne pourra / JAMAIS / Oh, Non / JAMAIS / remplacer ».
Abandon suave, abandon aquatique, abandon fécal, abandon là où mes « larmes
ne coulent plus / Là / je n’ai peur de rien ! » Et
puisque surgissant comme l’horreur absolue « Devant cette
porte / je t’entends / dans les odeurs de GAZ / et de CHAOS » ! « Le
mur est tombé / Tu es là / et tu pleures / et je pleure
// Comme si c’était hier… » « ET MOI
/ dans tout cela ! » Certes, et moi dans tout cela ? Mais quel
est donc ce deuil absolu que semble ici porter la poésie d’Alain
Marc quand « Le ressort / pousse encore / lentement / le souvenir » ? « Les
instantanés / sont / à jamais / figés »… Et
puis petit à petit se dévoile la tragédie : « Gaz
/ … / Explosion / Mur / tombé », « Réanimation
/ Tu es loin » ! « Erreur / de jugement / Overdose /
Et les barrières / pour te voir ! »
Dans Écrire ! — deuxième poème à dire
et à crier — « ÉCRIRE / est ma seule
/ solution ».
Jusqu’au « Besoin d’avoir mal / POUR ÊTRE
BIEN », « DE QUOI S’AGIT-IL ? / De désir
/ seulement de désir / et d’impuissance / à dire » :
d’impuissance à dire qu’il faut écrire
pour dire et crier ! Jusqu’à ce mieux se taire (« ÉCRIRE
/ pour mieux se taire ! » Quand le poème se livre ainsi,
peut-être s’alourdit-il du deuil identitaire. La vie
quand elle se délivre des « valeurs fétiches
/ DE L’AVÈNEMENT TECHNOLOGIQUE », bien loin de
l’artisanat égaré « est toujours là /
D’AUTANT PLUS INTENSE » qu’elle semble « Prête à sourdre » ses
résolutions !
C’est comme une sorte de bulle d’air étrange et
léger qui éclate ainsi à la surface du drame ! « Trouver
sa place », « Trouver / SON SEXE »,
sans doute aussi trouver la place du sexe pour absoudre l’existence « en
ce lieu vierge et unique » ! Ce lieu vierge et unique qui semble être
de « l’étouffante épaisseur / d’un
mur » ! Ce mur de la poésie d’Alain Marc nous
remémore ces lieux hors scène qui ne peuvent être
séparés que par des frontières étranges,
qui protégent autant qu’ils isolent, et dont l’accès
est sans doute soumis aux rites du tragique !
Et puis il y a cette musique qui continue
ainsi, « à ne plus pouvoir / regarder les autres / à ne
plus pouvoir être / regardé // tellement son visage /
est déformé / et déchiré par / les pleurs » – « ce
besoin / INÉPUISABLE / de communiquer » ! Qu’est-ce
donc que communiquer ici si ce n’est que ce moment crépusculaire
: « ÉCRIRE / dans la lumière immatérielle
/ du petit jour » ! Cette lumière immatérielle
qui nécessite « une très lente / méditation ». Écrire
est-il ce « chaos / à ne plus pouvoir / regarder les autres » ? « On
dirait que l’homme / construit sa vie / pour qu’il n’ait
pas le temps / de réfléchir ». « Jusqu’au
fond du monde ». Le fond du monde aboutit-il à « l'étouffante
épaisseur / d’un mur » ? Qu’en est-il
de cette « très
lente / méditation », « dans la lumière immatérielle
/ du petit jour » : face à un mur ? Ce mur du fond du
monde ! Très belle métaphore pour le début du
jour ? Cette lumière de début du monde réfléchissant
le début du chaos, mais de quel chaos ? Et pour quel silence
? Calme ! Étrange complicité de la complaisance souffrante
et de la lumière méditative ? Paradoxe des intensités
ainsi relevées comme par une subjectivité “zapping”,
un balayage que j’émets comme non point à la recherche
d’une mélodie de sens, mais comme par une sorte de pixellisation
d’intensités à la fois très anciennes et
très modernes, comme bien avant la naissance de l’informatique,
l’image vidéographique ou la mort des Dieux !
Bernard
Billa
(1) C'est moi qui souligne.