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Parler !
Certes ! Parler ça fait du bien ! Ça fait autant bien
que ça fait du bien ! Faire c’est bien mais « en » parler c’est
mieux ! Alors on parle de mieux en mieux pour faire de
moins en moins ! Bon et alors ?
Parler, parloter,
para-parloter de quoi pour qui pour quoi ? On s’en fout !
L’essentiel est de parler ! Parler pour faire entendre « sa
» voix ! Pour occuper les terrains vocaux ou autres ! Parler
pour l’immédiat des médias afin que ceux-ci parlent de vous puis
pour vous ! Parler pour le présent ou le lointain avenir radieux
tout aussi catastrophique que la proximité passée, parler de qui
de quoi ou plus corsé encore parler au nom de quoi : au nom du
Père du Fils du Saint-Esprit et tout les produits dérivés mon
cher psychanalyste ! Au nom de l’humanité au nom des grandes
valeurs humaines parler de la souffrance animale du
réchauffement de la planète des valeurs citoyenne du Dieu
unique, sans oublier les femmes afghanes !!! Tiens ! Un scoop,
la parole unique du Dieu unique ! Si c’est pas neuf, c’est du
répertorié, du traduit conforme tranquille, ponctué de bombes
humaines d’ex-voto à la roquette. Parler de nos temps est un
délicieux mélange de voix cacophoniques inaudibles au point sans
doute que le « dire » du parler est devenu le moyen principal
pour parler de ce qui doit être absolument
« tu » !!! Le parler est devenu médiatique,
communicationnel, l’on ne parle plus pour parler mais pour
communiquer ! Et surtout on communique pour ne plus avoir à
parler ! Faire c’est bien ! Communiquer c’est mieux ! Le battage
libéral n’est que pure communication ! Bref comment communiquer
lorsque l’on ne se parle plus ! En écrivant ? Pourquoi pas ! En
général si celui qui écrit sait parler c’est plutôt une bonne
chose. Mais imaginons qu’il soit bègue ! De nos jours un
écrivain bègue totalement inconnu n’a aucune chance de percer !
Pas médiatique, inapte aux interviews, il est condamné au
silence, le veinard ! À nos chers communicants extasiés, pour
qui faire c’est bien, mais communiquer c’est mieux et qui ont
encore de grandes journées vides devant eux, nous leur diront
sans emphase excessive que vivre sans sens est tout aussi
impossible que de dénoncer un sens unique avec un crayon entre
les dents comme exercice de prononciation !
Mais écrit-on pour échapper
à la parole des médias ? Bien sûr que non ! On écrit pour la
rejoindre au contraire ! La prouesse (et c’en est une) c’est
d’abord d’essayer de s’y retrouver et d’inscrire une brindille
au point nommé, tout en ne confondant pas la parlotte de l’art
au silence stylé de la pensée. Mais dans la véritable arène
médiatique, l’art de la tauromachie est implacable, et la mise à
mort est de règle !!! Ni le torero ni le taureau ne font la loi
! La loi est ailleurs ! Dans les hasards de l’opportunité
rentabilisée !!! En attendant je me prépare à passer à la télé,
occuper le terrain, je me répète chaque matin en me rasant : un
jour je serai écrivain ! Non mais, je ne suis pas bègue, moi !
Même que je ressemble à Sollers ! Au nom de quoi ceci serait-il
impossible, puisque je parle si bien ?! Dites-moi : au nom de
quoi ? Voyez-vous, ce qu’il y a de bien
dans le libéralisme, c’est que bien vécu, il vous libère de
toutes vos inhibitions !
Yan Dexter Dolt, août
2006